Projets en construction pour itinérants : quand bâtir devient un acte social au Québec

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Le 21 mai 2025 Par Richard DesRochers
Au Québec, la notion de « projet en construction » évolue. Longtemps associée à la rentabilité, aux devis et aux délais de livraison, elle est aujourd’hui redéfinie par des entreprises qui utilisent la construction pour transformer positivement la société. Dans un contexte marqué par la crise du logement, la hausse fulgurante de l’itinérance et le vieillissement de la population, plusieurs chantiers récents démontrent qu’un projet en construction peut — et doit — viser plus large qu’un simple rendement.
 
En 2023, le Québec comptait 10 000 personnes en situation d’itinérance visible, soit une augmentation de 44 % par rapport à 2018. En parallèle, plus de 173 000 ménages vivaient dans des logements inadéquats ou inabordables, et près de 40 % des locataires à faible revenu consacraient plus de 30 % de leur revenu au logement. (Sources : MSSS, SCHL, FRAPRU)
 
Alors que les grandes villes cherchent des solutions rapides et durables, certaines entreprises, PME ou groupes communautaires, se distinguent par des initiatives exemplaires. Ce sont des bâtisseurs d’espoir : ils construisent des modules d’hébergement pour les sans-abris, des logements adaptés pour les personnes à mobilité réduite, ou des coopératives d’habitation où les résidents participent à la gestion.
 
Cet article présente plusieurs de ces entreprises québécoises qui donnent une nouvelle dimension au mot « projet en construction ». Elles montrent que construire, c’est aussi inclure, réparer, stabiliser, et redonner de la dignité. Ces projets méritent d’être connus, reproduits, et surtout, soutenus.

RCM Modulaire : Un projet en construction contre l’itinérance chronique

Quand l’urgence sociale rencontre l’ingéniosité modulaire. En 2023, la Ville de Montréal a pris une décision audacieuse : transformer d’anciens modules de chantier d’Hydro-Québec (utilisés sur le projet La Romaine) en habitations temporaires pour personnes en situation d’itinérance. Elle a confié ce mandat à RCM Modulaire, une entreprise spécialisée dans l’habitation préfabriquée.
 
Le résultat : 90 logements temporaires installés sur trois sites municipaux, incluant Louvain Ouest et l’Hippodrome. Chaque unité est équipée d’un lit, d’un espace chauffé, d’un lavabo, et de sanitaires partagés. Plus important encore : chaque site est associé à un organisme communautaire qui offre un accompagnement psychosocial quotidien.
 
Selon le MSSS, le coût d’un séjour en centre d’hébergement d’urgence est de 90 $ par nuit, tandis qu’un hébergement stable avec suivi coûte environ 50 $ par jour — soit presque la moitié, avec des retombées humaines et budgétaires plus durables.
 
 
Ce projet en construction n’a pris que quelques mois à être opérationnel. Il démontre qu’en mobilisant des ressources existantes et une expertise locale, on peut répondre efficacement à des enjeux sociaux pressants. C’est un modèle exportable dans d’autres villes du Québec, notamment celles aux prises avec une pénurie de refuges ou des urgences sociales saisonnières.

Groupe CDH, ROMEL, Atelier Habitation : construire pour les invisibles

L’accessibilité au logement est devenue un enjeu de santé publique. En 2024, trois groupes de ressources techniques (GRT) — Groupe CDH, ROMEL, et Atelier Habitation Montréal — ont uni leurs forces à celles de la Ville de Montréal pour coordonner un projet en construction de près de 900 logements abordables.
 
Ces logements sont destinés à des familles monoparentales, des aînés, des personnes vivant avec des limitations physiques ou mentales, et des immigrants récents. Les projets sont situés dans des quartiers où les taux de pauvreté et de gentrification sont élevés, comme Parc-Extension, Saint-Michel ou Pointe-Saint-Charles.
 
Chaque projet en construction est accompagné :
  • d’un plan architectural axé sur la dignité et la sécurité
  • d’une concertation citoyenne locale
  • d’une structure de gestion communautaire post-livraison
 
Pourquoi c’est structurant ? Parce qu’il répond à un double besoin : construire vite, et construire bien pour ceux qui n’ont pas les moyens d’entrer sur le marché privé. Ces projets représentent une nouvelle manière de penser la densification urbaine, sans exclusion.

Bâtir son quartier : une expertise communautaire au cœur du projet en construction

Depuis plus de 40 ans, l’organisme « Bâtir son quartier » démontre qu’un projet en construction peut aussi être un projet collectif. Leur modèle repose sur un principe simple mais puissant : impliquer directement les futurs résidents dans la conception, la gestion et la vie de leur logement.
 
Avec plus de 10 000 logements communautaires réalisés, Bâtir son quartier est aujourd’hui l’un des piliers du développement immobilier social à Montréal. Chaque année, ils accompagnent des dizaines de coopératives, d’OBNL d’habitation et de comités de locataires dans la création de projets de qualité.
 
En 2023-2024, ils ont participé à plusieurs projets stratégiques, notamment :
  • un ensemble intergénérationnel à Verdun,
  • des logements adaptés à Saint-Michel,
  • et une coopérative écologique dans Rosemont.
 
Leur force réside dans la gouvernance partagée. Ce n’est pas seulement un projet en construction : c’est un projet d’autonomisation. L’effet à long terme est mesurable : stabilité résidentielle, implication citoyenne, résilience communautaire.

Éco-Modulaires des Sources : construire pour les besoins émergents

À Val-des-Sources, en Estrie, une entreprise locale montre que l’innovation peut venir de partout. En 2023, Éco-Modulaires des Sources a décroché un contrat de 3,5 M$ pour livrer des unités modulaires préfabriquées destinées à l’agrandissement de l’école Louis-Philippe-Paré à Châteauguay.
 
Bien que ce ne soit pas un projet social en soi, ce chantier illustre une capacité de mobilisation rapide, durable et économique. Cette même technologie peut être adaptée pour créer :
  • des centres d’hébergement temporaire,
  • des logements d’urgence,
  • ou des refuges communautaires en région.
 
Le projet en construction modulaire devient ici une arme contre la lenteur administrative. Il offre aux petites villes et aux MRC une façon de répondre rapidement à des crises, qu’elles soient climatiques, sanitaires ou sociales.

Redéfinir le projet en construction dans le Québec d’aujourd’hui

Le Québec fait face à des défis sociaux massifs — et durables. Itinérance, isolement des aînés, inégalités régionales, crise de logement… Ces enjeux ne peuvent pas être résolus uniquement par les politiques sociales. Ils doivent être intégrés aux projets en construction.
 
Les exemples de RCM Modulaire, des GRT montréalais, de Bâtir son quartier et d’Éco-Modulaires des Sources démontrent une chose fondamentale : le chantier peut devenir un espace d’innovation sociale.
 
En 2025, un projet en construction devrait être évalué non seulement selon :
  • sa rentabilité,
  • sa conformité aux normes,
  • ou son échéancier…
Mais aussi selon sa capacité à créer de la valeur humaine, durable, et locale. Et si on cessait de considérer l’inclusion sociale comme un coût ? Et si, au contraire, on l’intégrait dès la planification comme un investissement stratégique dans la cohésion, la santé et la stabilité collective ? Parce qu’un projet en construction n’est jamais neutre, il peut aggraver les fractures… ou les réparer. À nous, désormais, de choisir quel chantier on veut faire sortir de terre.

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